L’appel : ils ont choisi d’être chrétiens.
Ce week-end de Pâques, plus de 5 000 adultes recevront le baptême en France. Ils sont de plus en plus nombreux ces dernières années, alors qu’on dit l’Église en crise. Cinq d’entre eux ont confié à L’Hebdo leur parcours, vibrant, de conversion. Qui sont ces femmes et ces hommes que Dieu vient rencontrer ?
La scène se passe sur les bords de Loire, en août 2021. Le père, Valentin Guilmard, et son fils, Théo, 10 ans, partis pour un périple à vélo, viennent de faire une halte dans la petite église Notre-Dame de la Salette, à La Bohalle (Loire-Authion. Maine-et-Loire). C’est un moment de complicité, au cœur des vacances estivales, ils ont acheté une stèle, des bougies, et tout d’un coup Valentin lance à son fils : « Théo, si on se faisait baptiser tous les deux ? » Grand sourire du fiston, emballé. Il ne comprend pas forcément ce que cela implique – le père non plus, d’ailleurs. Mais les voilà repartant comme deux compères sur les routes, tout grisés de leur idée.
La religion, ni l’un, ni l’autre n’en a la culture ou les codes. Valentin est issu d’une famille athée, le christianisme n’a jamais fait partie de son monde. Sauf qu’il a toujours senti « une présence » auprès de lui. Fils unique, élevé par son père, il passait, enfant, de longues heures seul dans leur appartement de Meudon (Hauts-de-Seine). Il se souvient de cette présence. Et d’avoir aimé les églises. Leurs pierres massives, leur cocon de silence, l’impression d’un lieu « habité ». « Elles m’étaient familières, comme les vieilles maisons. Je m’y sentais bien. »
À 18 ans, Valentin Guilmard perd brutalement son père d’un cancer, trois semaines avant Noël. Il se sent incapable de faire la fête et, le 24 décembre, trouve refuge dans l’église Saint-Esprit de Meudon (Hauts-de-Seine). Il suit la messe, écoute les chants comme un baume. Par la suite, certains dimanches, il ira écouter l’homélie. Son lien au christianisme s’arrête là.
Jusqu’à ce que, des années plus tard, Théo, l’aîné de ses trois fils, se mette à poser des questions sur « Jésus ». L’enfant a 6 ans. « Des milliers de questions ! », rit son père aujourd’hui, technicien vidéo de 42 ans, petite barbe et sweat à capuche. La famille vit alors à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, qui compte une importante communauté chrétienne. « Papa, c’est qui Jésus ? », « Est-ce que c’est vrai que c’est le fils de Dieu ? ».
Valentin, lui, se retrouve complètement démuni face à Théo, son bonhomme de 6 ans, qui n’en finit plus avec ses questions sur Jésus. « Je ne savais pas quoi lui dire, le sujet me dépassait, j’étais perdu entre l’Ancien Testament, Adam et Ève, Jésus… » Le père finit par dégoter les Évangiles, les lit et, retrouvant l’écho des homélies de sa jeunesse mais surtout une richesse insoupçonnée, il en « tombe amoureux ». « En voulant répondre à mon fils, j’ai découvert des textes pour moi. » Il en est encore très ému. Certaines paraboles l’intriguent, lui parlent, « la première pierre », « l’homme de peu de foi », « transformer l’eau en vin »… Il les lit à Théo, ils en parlent tous les deux. « Ces échanges, c’était simple, cool, sans enjeux. Ça n’allait pas plus loin. » Jusqu’à ce jour d’été et la petite église près de la Loire. Jusqu’à cette idée de baptême.
Au retour des vacances, bien décidés à aller jusqu’au bout de leur idée, Valentin Guilmard et son fils Théo ont cherché une église. Ils se sont glissés sur les bancs de la chapelle Saint-Rémi, à Gif-sur-Yvette, dressée derrière de grands arbres. Pendant un an, le père et le fils sont venus presque tous les dimanches, réservés et attentifs. « Je ne sais même plus qui, du prêtre ou de moi, a noué la conversation. » On lui parle de « catéchumène », il n’a jamais entendu le mot. Mais il se sent porté. « C’est la joie de mon fils qui m’a amené jusque-là. »
Une joie que l’on sent lorsque l’on ouvre le gros lutin orange que Valentin a commencé à remplir, au début du catéchuménat. Une sorte de classeur dans lequel il a consigné les moments importants de leur parcours, des photos, des textes religieux. On y voit Théo changer au fil des pages, devenir un ado. On y voit aussi plein de nouveaux visages. Ceux d’Adélaïde, d’Amandine, de Cyril, rencontrés pendant les deux ans de préparation au baptême. En les regardant, Valentin confie ce qui l’a profondément marqué. « L’écoute, le respect, la gentillesse des gens. Moi, j’ai longtemps milité dans le monde associatif, mais il y avait toujours du conflit. »
Il raconte une scène révélatrice. Le jour où il a fallu choisir les horaires de l’aumônerie pour Théo. Valentin, habitué aux joutes associatives, s’était préparé au rapport de force. « J’avais un emploi du temps très chargé, je voulais que ce soit le dimanche matin. J’étais arrivé à la réunion avec mes arguments, bien décidé à emporter le morceau. » Sauf que les autres prennent tout de suite en compte ses contraintes. « OK, va pour le dimanche matin ! C’est une joie d’avoir Théo parmi nous. » En racontant ce moment, Valentin sourit. « J’étais comme un con. Je n’avais rien compris, en fait. » Cette première expérience est marquante. Au fil des mois, Valentin se met lui aussi « à écouter », sans avoir besoin de la ramener. Il interroge alors en lui une vieille compagne, la colère. Il commence à en dénouer les nœuds, qu’il confie à la Vierge. « Derrière ma colère, il y avait d’autres nœuds, la peur, le jugement. » Le mardi, il retrouve avec bonheur Élisabeth, son accompagnatrice, « je l’adore, vous voyez, c’est la petite mamie ». Cette bienveillance l’étonne toujours. Aux antipodes, selon lui, « d’une société dans laquelle on t’apprend qu’il faut être plus malin que ton voisin, qu’il faut “niquer” les autres ». Là, il respire. Pose ses valises. La prière le porte. La présence est là.
À la fin de son lutin, Valentin a glissé des photos de Théo, le jour de l’appel décisif. À l’été 2021, quand l’aventure a commencé, il avait encore des traits enfantins, des cheveux de poussin, une tête de garçonnet. Désormais, il dépasse son père d’une tête. « Ça fait drôle, non ? » Valentin n’en revient pas, de tout ce chemin. Ni des 220 jeunes du diocèse d’Évry réunis ce jour-là, « des gamins heureux, qui veulent partager, être dans l’amour ». Valentin fait une pause, songeur. Il pense à Zachée.« La première fois que j’ai lu ce passage de l’Évangile, je n’ai rien compris… alors que Zachée, c’est moi ! » Depuis, il a lu et relu ce passage, il le connaît par cœur. « Zachée n’arrivait pas à voir Jésus en raison de la foule, il est monté sur un sycomore, et Jésus l’a interpellé. Dans mon histoire, le sycomore, c’est Théo. C’est grâce à mon fils que Jésus est entré dans notre maison. »